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AAC “Le Sénégal des alternances”

PUBLIÉ 26 SEPTEMBRE 2025

 

Dossier coordonné par Marie Brossier (CIRAM, Université Laval, Canada), Amy Niang (The Africa Institute, Emirats arabes unis), Etienne Smith (LAM, Sciences Po Bordeaux, France).

 

Date limite d’envoi des propositions : 6 janvier 2026

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Le Sénégal des alternances

Les récents coups d’État qu’ont connus plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest semblent témoigner de l’épuisement des processus de transition politiques amorcés dans les années 1990 (Opalo 2024). Cette remise en cause des régimes issus du suffrage électoral a ouvert une séquence politique nouvelle, marquée par une incertitude accrue quant à l’avenir des formes de légitimation du pouvoir dans la région. À rebours de cette remise en question des pouvoirs élus, le Sénégal reste un cas marqué par une relative stabilité démocratique comme en témoignent les trois alternances électorales qu’a connu le pays (2000, 2012 et 2024), malgré des moments de violences politiques (2011, 2021-2024) largement médiatisées sur la scène internationale.

Cependant, et malgré le récit d’une « success story » (Cruise O’Brien 1978) démocratique sénégalaise en Afrique de l’Ouest (Coulon 2000), fondée sur l’institutionnalisation d’une arène délibérative sur le temps long (Diouf 1998, Ruaud 2021), et la libéralisation progressive que le pays a entreprise depuis 1974 (Bodian 2016), le Sénégal a longtemps été décrit comme une « presidential monarchy ruled by patrimonial democrats » (Beck 1997). La première alternance de 2000, qui mit fin à quarante ans de règne du Parti socialiste (PS) avec l’arrivée au pouvoir d’Abdoulaye Wade, n’a pas conduit à une transformation structurelle du régime ni à une libéralisation politique significative. Au contraire, les mandats successifs de Wade (2000–2012) puis de Macky Sall (2012–2024) ont reconduit le modèle historique d’un exécutif hyperprésidentialisé, soutenu par une hégémonie partisane, d’abord celle du Parti démocratique sénégalais (PDS), ensuite celle de l’Alliance pour la République (APR). En référence à sa nature hybride, le régime sénégalais a été catégorisé comme une « démocratie patrimoniale » (Beck 1997, Brossier 2021), un « autoritarisme compétitif » (Levitsky et Way 2010, Kelly 2018) ou même une « démocratie sans démocrates » (Diop 2009). Les styles de leadership personnalisés de Wade et de Sall ont reconduit plutôt que mis fin au pacte clientéliste, renforcé les élites en place, généré une instabilité constitutionnelle (Thiam 2007) et institutionnelle, et restreint les libertés individuelles et politiques dans les moments de crises. L’accroissement de la pauvreté et des inégalités dans un contexte de forte croissance, les violations répétées des libertés civiles et l’érosion de la capacité de redistribution des ressources de l’État aux classes sociales inférieures ont suscité un mécontentement public soutenu au cours des deux dernières décennies. À ces fragilités structurelles s’ajoutent des dynamiques démographiques et territoriales puissantes : une croissance rapide de la population (18,12 millions d’habitants en 2023, ANSD 2024), une urbanisation polarisée (22 % de la population vit à Dakar, ANSD 2024), un chômage massif, des inégalités régionales marquées et une pression migratoire forte sur les plans national et international. Malgré la rhétorique gouvernementale autour de « l’émergence » et l’anticipation d’une rente pétrolière et gazière, le Sénégal occupait en 2023 la 168e place (sur 191) dans le classement de l’indice de développement humain du PNUD. Pour autant, et contrairement aux pays voisins, ces tendances de fond n’ont pas mis un terme au processus historique durable d’électoralisation du politique ni remis en cause, de manière frontale, le principe de résolution des conflits par les urnes.

Dans ce contexte, l’élection présidentielle de mars 2024 a même marqué un changement important, notamment pour deux raisons : elle constitue la première élection sans candidature du Président sortant et débouche sur la victoire dès le premier tour d’un parti d’opposition sans lien ni compromission officielle avec le régime sortant. Paradoxe et symbole que cette élection présidentielle qui a failli ne pas se tenir, mais qui a finalement confirmé la résilience de certaines institutions et la vigueur des mobilisations citoyennes.

Depuis la première transition de 2000, les partis au pouvoir n’ont pas été en mesure de consolider des réseaux informels durables avec des courtiers locaux (tels que certains leaders religieux et les notables territoriaux autrefois mobilisés par le PS) pour soutenir l’hégémonie durable du parti au pouvoir, ni avec des “incorporative political party organizations » pour les remplacer (Riedl 2014, Morse 2018). En outre, la trajectoire de l’opposition sénégalaise montre que les transitions de pouvoir, même lorsqu’elles s’opèrent à travers la reconfiguration de l’élite dirigeante par le truchement de la transhumance, tendent paradoxalement à renforcer les institutions. Ces processus reposent souvent sur un engagement renouvelé en faveur de l’application des règles constitutionnelles et électorales (Emordi 2024), ce semble aboutir à un « nouveau contrat social » (Diouf 2024).

Pour faire suite au dernier numéro consacré au Sénégal dans Politique africaine en 2004, dirigé par Tarik Dahou et Vincent Foucher « Sénégal 2000-2004, l’alternance et ses contradictions » (n. 96, pp. 5-118), l’ambition de ce dossier est d’analyser les ruptures, contrastes et continuités qui structurent l’espace et les pratiques du politique depuis la présidence Wade en abordant notamment les thèmes suivants (non exhaustifs).

 

Transition politique et évolution des règles formelles/informelles du jeu politique

Le temps long de la transition politique au Sénégal a été marqué – comme ailleurs (Cheeseman 2018) – par l’évolution continue des règles formelles et informelles du jeu et de la compétition politique. Ces normes et règles, et leurs évolutions, ont modifié l’organisation des différentes arènes partisanes, électorales et institutionnelles en agissant à plusieurs niveaux. Sur le plan formel, on observe des modifications notables des paramètres du fonctionnement démocratique : durée et limitation des mandats, règles de cumul des fonctions, réformes encadrant les procédures de candidature (comme le parrainage citoyen), organisation des campagnes électorales, ou encore conditions d’existence, de financement et de régulation des partis politiques. Parallèlement, des logiques informelles continuent de peser sur les dynamiques du pouvoir : pratiques de cooptation, clientélisme, factionnalisme, personnalisation de l’exécutif, mise à l’écart judiciaire des opposants, instrumentalisation de la rumeur et du scandale, ou encore mobilisation de soutiens auprès des autorités religieuses, des réseaux d’influence et des groupes de pression.

Le site d’observation que constituent les institutions permet également d’analyser le rôle joué par ces dernières dans l’application ou la reconfiguration de ces règles, et les effets induits en termes de contrôle, de représentation des intérêts ou de régulation du champ politique. À cet égard, des évolutions notables méritent attention : le rôle renforcé du Conseil constitutionnel dans le contentieux électoral de 2024, les transformations de l’Assemblée nationale, ainsi que les débats sur des organes de contrôle comme la CENA, la CREI, l’OFNAC ou encore la Cour des comptes. Une attention particulière pourra être portée aux acteurs, notamment les élites centrales et intermédiaires, qui, selon la formule de Lagroye (2002), mettent ces règles et institutions « en pratique ». Leur capacité à mobiliser, redistribuer ou convertir les ressources politiques constitue une clé de lecture essentielle pour comprendre les logiques d’alliance, les configurations de coalition et les équilibres institutionnels. Ce dossier propose ainsi d’interroger les mécanismes d’encadrement (ou de contournement) de la démocratie électorale au Sénégal, à travers l’examen de ses réussites, de ses impasses et de ses ambiguïtés constitutives.

 

Mobilisations politiques et sociales

La trajectoire du pays a été particulièrement marquée par des formes variées de mobilisations et de contestations sociales et politiques, de manière évidente dans le contexte électoral (2011, 2018-2019, 2021-2024) mais aussi plus largement autour d’enjeux sociétaux (contre la vie chère, coupures de courant, accès à l’eau, immigration, droits des femmes et des minorités, laïcité et port du voile, “révolution conservatrice” etc.). On pourra interroger l’émergence de collectifs (Yen A Marre, Mouvement du 23 juin (M23), FRAPP, Forces Vives de la Nation (F24), Aar Sunu Élection…) et évaluer les modalités et effets des cycles successifs de consultations sur la vie politique et les modes de compétition électoraux (des Assises nationales en 2008-2009 au Dialogue National en 2025). Le rôle des universités et l’arène de socialisation et de contestation qu’elles constituent permettront également de saisir l’évolution des modalités de contestation et des économies morales de la jeunesse; tout en prenant en compte la manière dont elles s’arriment à d’autres espaces d’engagement ainsi que les dynamiques intergénérationnelles et d’assignation aux rôles sociaux qu’elles portent (Ndiaye 2025).

Dans ce sens des travaux portant sur les partis politiques (modèles et règles d’organisation et de succession au leadership, modalités de mobilisations, formations des cadres et des militants, campagnes électorales et marketing politique, factions, logiques de fragmentation, mobilités inter-partisane, idéologies, programmes électoraux, usages des médias sociaux, logiques d’alliances et de coalitions) ainsi que les acteurs de l’intermédiation sociale que sont les médias et les syndicats dans leur capacité à réguler ou agir dans le conflit social. On pourra questionner la reconfiguration d’une « société politique » (Branch and Mampilly 2015) au-delà de la société civile et la capacité de celle-ci à constituer un espace autonome en dehors de l’État ce qui permettra de repenser les relations entre État et société sur le temps long de la transition politique. On pourra s’interroger également sur les professions ou groupes sociaux “porteurs” des ruptures ou continuités observées (magistrats, avocats, fonctionnaires des impôts, forces de l’ordre, enseignants, journalistes, associatifs, entrepreneurs, commerçants, transporteurs, artistes, lutteurs,  etc…) et sur lesquels les travaux manquent. Mais aussi sur les catégories sociales subalternes (soumises à une précarisation accrue, dans l’économie informelle ou nonl) dont le rapport au politique est encore trop peu interrogé.

On observera enfin la mise en œuvre  et la sophistication croissante d’une violence étatique par la mise en place de politiques de répression (morts, arrestations, emprisonnements massifs d’élus, responsables politiques ou simples militants, violences policières, surveillance électronique, mise en place de milices, etc.) qui ont porté atteinte aux libertés civiques et politiques et reposé la question de l’héritage historique de la violence politique au Sénégal, souvent oublié ou euphémisé.

 

 Les arts de gouverner dans un contexte reconfiguré d’extraversion internationale

L’analyse de l’action publique nécessite d’appréhender conjointement les transformations internes de l’État et les dynamiques transnationales qui les structurent. Dans le prolongement des études sur les mandats Wade (Diop 2013) et Sall (Tine et Sarr 2023), il s’agit d’examiner l’évolution des politiques sectorielles (décentralisation, éducation, santé, énergie, agriculture, sécurité, justice, développement économique) et leurs conditions d’adoption, ce qu’elles relèvent de la circulation de normes néo-libérales, de contraintes d’urgence (Covid-19, inondations) ou d’impératifs électoraux.

Cette approche implique de questionner simultanément les mutations de l’appareil d’État dans ses modes de gestion, sa capacité à capter des ressources et les mécanismes de contrôle (IGE, Assemblée nationale, Haute Cour de Justice), ainsi que son inscription dans des dynamiques d’extraversion. Ces dernières se manifestent à travers la circulation transnationale des populations (diaspora, migrations), l’influence des bailleurs sur l’action publique, et une diplomatie active fondée sur une pluralité d’alliances (France, UE, États-Unis, Chine, Russie, partenaires africains).

Les recompositions centre/périphérie, de la Casamance au front minier oriental, s’articulent ainsi aux enjeux sécuritaires régionaux dans un contexte où le Sénégal s’est positionné comme médiateur (CEDEAO, Union africaine, G5 Sahel). L’analyse portera sur les tensions entre les discours de reconnexion souverainiste et panafricaniste d’une part, et les contraintes structurelles liées à l’économie de rente pétro-gazière ainsi qu’à la trajectoire d’endettement d’autre part. Il conviendra d’examiner comment ces tensions se traduisent dans les arbitrages politiques concrets, les négociations avec les partenaires internationaux et la mise en œuvre des réformes structurelles, afin d’évaluer les marges réelles d’autonomie de l’État sénégalais face aux défis de la souveraineté économique et de l’intégration régionale.

 

 

 

Modalités de soumission :

Possibilité d’informer les coordonnateurs en amont qu’une proposition d’article va être soumise.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
vincentfoucher (26 septembre 2025). AAC “Le Sénégal des alternances” Politique africaine. Consulté le 10 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14ral


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